1. La bataille de Sainte-Hélène

Les conditions pénibles de la vie à Longwood s’ajoutent aux frictions avec le gouverneur ; à la morosité et à la mesquinerie des conditions de sa captivité ; aux mésententes de son entourage. Pourtant, dès le voyage à bord du Northumberland, l’Empereur a décidé de se battre pied à pied pour ce qui lui reste.
« Je veux écrire les grandes choses que nous avons faites ensemble ! », avait-il dit à ses grognards alors qu’il partait pour l’île d’Elbe, en 1814. À Sainte-Hélène où, partout, pèse le sentiment d’une inéluctable déchéance, le passé prend chaque jour plus de valeur encore.
Plus l’espace se comprime autour de lui, plus le temps devient pour l’Empereur un enjeu impérieux.
Il organise donc sa vie comme une campagne.
Jouant le rôle d’état-major et de garde impériale, sa suite est mise à contribution sans relâche.
Les Anglais, gouverneur Lowe en tête, endossent – avec brio – le rôle de l’ennemi. Tous finissent, d’une manière ou d’une autre, par écrire à leur tour. L’histoire devient ainsi l’ultime champ de bataille. La mémoire, l’ultime conquête.

2. La dernière heure

À Sainte-Hélène, l’Empereur est vaincu, loin de ceux qu’il aime, réduit à l’inaction autant par ses geôliers que de son propre fait. Les bons moments, comme ceux passés aux Briars chez les Balcombe en 1815, se font rares.
Des sursauts de volonté le poussent à écrire ou à jardiner avec passion, mais son moral et sa santé se dégradent rapidement à partir de 1817. N’ayant plus rien de grand à faire, il semble se résoudre à ne plus être.
Pour la Grande-Bretagne, et pour le gouverneur qui exécute ses ordres, la responsabilité de sa garde est à double tranchant. Il faut se montrer ferme, autant pour empêcher toute évasion que pour briser en lui toute volonté de revenir sur la scène politique. Il ne faut pas non plus prêter le flanc à l’accusation d’avoir causé, même indirectement, sa mort. L’Empereur, conscient de ce dilemme, tente de prendre sa revanche en inscrivant à son testament : « Je meurs prématurément, assassiné par l’oligarchie anglaise et son sicaire [Lowe] ; le peuple anglais ne tardera pas à me venger. »

3. Une tombe muette dans la vallée du Géranium

Sur la route de Jamestown, le long du cratère du Bol à Punch du Diable, se trouve un vallon verdoyant. Napoléon, qui l’avait découvert au détour d’une promenade, appréciait l’eau de sa source. C’est là qu’il a voulu être inhumé, comprenant qu’il ne pourrait reposer en terre française.
Le 6 mai 1821, une fosse est creusée à l’ombre de deux grands saules.
Après l’autopsie, pratiquée par le Dr Antommarchi, le corps de l’Empereur est exposé dans la chambre à coucher, devenue chapelle ardente. Le 9 mai, le convoi funèbre quitte Longwood. Les Anglais lui rendent les honneurs dus à un général. Placé dans quatre cercueils emboîtés – un de fer-blanc, un de bois exotique, un de plomb, un dernier d’acajou – le corps de l’Empereur est mis en terre.
La tombe est couverte de trois dalles prélevées dans la cuisine de New House. Les Français voudraient y faire inscrire : « Napoléon. Né à Ajaccio le 15 août 1769, mort à Sainte-Hélène le 5 mai 1821 », mais le gouverneur tient à y apposer le nom de Bonaparte. Cet ultime avatar du conflit qui a marqué l’exil ne trouve pas d’issue. La tombe est donc laissée vierge.