Exposition 12 oct. 2016 - 29 jan. 2017
Billetterie en ligne

Parcours de l’exposition
Contexte, objectifs, hommes et moyens des guerres secrètes

Suite du parcours ➡︎
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Au cœur du secret

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Préparer la guerre, dans le secret, est une mission des appareils militaires des États modernes. D’où la constitution, à la fin du XIXe siècle, de services secrets permanents. La Première Guerre mondiale marque une étape importante dans leur développement : progrès dans le domaine du (dé)cryptage et des transmissions, comme dans celui de l’organisation, avec l’apparition de réseaux d’espionnage. Un pilotage gouvernemental de la censure, de la propagande et de la désinformation se met en place. La Seconde Guerre mondiale amplifie et accentue les évolutions antérieures. Dans l’Europe submergée par l’Allemagne nazie ou l’Asie dominée par le Japon, nombre de gouvernements en exil ne peuvent agir que dans l’ombre. Ainsi naissent la guerre secrète et ses modes d’action combinés : renseignement, opérations clandestines, désinformation et déstabilisation. Elle dépasse le plan militaire et technique pour relever aussi du domaine politique et idéologique.
Les structures étatiques ou paraétatiques du secret s’accroissent à un degré jamais encore atteint. La Guerre froide oppose les blocs occidental et soviétique dans un climat de tension extrême et prend constamment à témoin les opinions publiques de part et d’autre. L’équilibre des forces et la conscience du caractère destructeur des capacités militaires accumulées retiennent les deux superpuissances au seuil de la conflagration générale. Aussi la guerre secrète, dans toutes ses dimensions, devient-elle la forme prédominante de leur affrontement, servie par des technologies sans cesse modernisées : ordinateur, satellite... Le secret s’épaissit encore, en particulier dans le domaine du nucléaire.
Plaque de rue du «2 bis» de l’avenue de Tourville, locaux du P.C. des Services de renseignement de 1932 à 1940
Musée de l’Armée © musée de l’Armée, Émilie Cambier
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Qu’est-ce qu’un agent ?

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Les fictions contemporaines, tant romanesques que cinématographiques, laissent souvent à leurs lecteurs et spectateurs l’image fascinante d’un agent secret qui tient du surhomme et auquel rien n’est impossible, au point que parfois le sort de son pays – voire de la planète – dépend de lui seul. Par-delà le fantasme et le mythe, la réalité des acteurs et actrices des guerres secrètes est à la fois bien plus complexe et multiple.
Les agents à proprement parler doivent, pour être efficaces, d’abord opérer dans la plus grande discrétion, quand leurs missions les conduisent à l’étranger soit sous statut diplomatique soit de façon clandestine et, dans ce cas parfois au péril de leur vie.
Leurs missions sont très diverses : recueil de renseignements, désinformation, déstabilisation, action clandestine… Civils ou militaires, ils font partie intégrante de services au sein desquels d’autres personnels préparent leurs interventions, mettent au point les matériels qui leur sont nécessaires, analysent les informations. Enfin et surtout, ils ne travaillent pas seuls : l’essentiel de leur rôle est de constituer autour d’eux un réseau de sources et d’informateurs. Les motivations de ces relais « dormants » ou actifs, parfois occasionnels, issus de milieux sociaux et professionnels divers, peuvent être le besoin d’argent, les dispositions de caractère ou de comportement, une histoire personnelle ou familiale douloureuse, mais aussi le patriotisme, les convictions politiques ou idéologiques.
Uniforme d’un officier du ministère de la Sécurité de l’État de la RDA (Stasi)
La Stasi (1950-1989) est le service de police politique, de renseignement, d’espionnage et de contre-espionnage de la République démocratique allemande (RDA). Sa mission principale est de contrôler la population d’Allemagne de l’Est et de s’assurer qu’aucune activité subversive n’est entreprise contre la « ligne » imposée par le parti communiste de la RDA, le SED.

L’agent : une notion complexe


Qu’appelle-t-on un agent ?
Le terme en lui-même est-il approprié ?
Si ce terme est utilisé parce que pratique, il cache une réalité bien plus complexe et variée.

L’exposition propose de saisir toute cette complexité et les subtilités du terme en proposant au visiteur, de manière ludique avec un dispositif interactif intitulé Typologie de l’agent.

Sont au rendez-vous, le casting divers des acteurs des guerres secrètes, tels que les cryptologues, officiers traitant sous couverture, opérateurs radio clandestins, sources, agents d’écoute, administrateurs et officiers de liaison pour ne citer qu’eux…

Découvrir les jeux de l'exposition
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Recrutement et formation

–––––––––––––––––––––––– Travailler pour un service de renseignement ou d’action ne résulte pas toujours d’une vocation et les parcours des « agents » sont multiples. Avant la Seconde Guerre mondiale, les attachés militaires sont des officiers de carrière formés par l’Armée. À partir de 1940, les services secrets émergents – BCRA, SOE, OSS – se trouvent dans la nécessité de recruter et de former rapidement, mais rigoureusement, des volontaires, le plus souvent totalement étrangers à cet univers. La formation d’un agent peut prendre des mois avant son envoi sur le terrain. Des écoles de formation spéciales sont ainsi créées en Angleterre, les Special Training Schools, où entraînement physique, saut en parachute, filature, sabotage, codage et transmissions radio sont au programme. D’autre part, dans certains programmes secrets, les personnels subalternes ne sont pas toujours informés du cœur du projet. Ce fut le cas pour le centre expérimental d’Oak Ridge, dans le Tennessee, foyer du projet Manhattan de recherche nucléaire. Avec la Guerre froide et la création d’institutions pérennes, certains pays, comme les États-Unis et la France, se dotent d’écoles de formations spéciales, dont les instructeurs sont souvent d’anciens agents de la Seconde Guerre mondiale. La CIA trouve alors ses recrues sur les bancs des universités ; celles destinées à travailler sur le terrain sont formées, dès 1952, dans une base secrète en Virginie, surnommée la « Ferme », où sont enseignés l’art de recruter une source ou de mener des opérations clandestines à l’étranger.
La même année, en France, Robert Maloubier, ancien agent du SOE, crée au sein du SDECE l’école des nageurs de combat, qui existe toujours.
Cours de cryptographie, éditions Berger-Levrault, 3e édition, Troisième République, 1936 / Général Marcel Givierge
Spécialiste en cryptologie, le général d’artillerie Givierge est à l’origine de la création d’une section permanente du chiffre au sein de l’armée en 1912. Son Cours de cryptographie publié pour la première fois en 1932, fait autorité en la matière.
Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI)
© musée de l’Armée / Pacsal Segrette
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Construction de la légende

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Un agent clandestin peut, au sein de son propre service, utiliser un faux nom, un « pseudonyme ». Sur le terrain, il peut avoir un ou plusieurs noms de code, pour ses différents interlocuteurs extérieurs. Dans la France libre et la Résistance, c’est par exemple le cas de Daniel Cordier, agent du BCRA, qui s’est fait appeler entre autres BIP W, Alain, Michel. D’autres sont passés à la postérité sous un seul pseudonyme : Passy (André Dewavrin, chef du BCRA), H 21 (Margaretha Geertruida Zelle, connue sous son nom de scène de Mata Hari), Farewell (le dissident soviétique Vladimir Vetrov). Pour les besoins d’une mission, un agent peut également être amené à se déguiser : en se maquillant et s’habillant de façon plus ou moins extravagante, une femme peut prendre plusieurs apparences ; un faux tatouage ou une fausse cicatrice, aisément repérables par d’éventuels témoins, peuvent être retirés aussitôt la mission terminée ; une paire de lunettes, bien choisie, peut considérablement changer un visage...
La « légende », quant à elle, est bien plus que cela : il s’agit d’une identité fictive, nécessitant parfois plusieurs années pour être construite et mise en place, puis s’avérer fructueuse. Afin de se fondre dans l’environnement dans lequel il doit opérer, l’intéressé, doté de nouveaux papiers d’identité, est amené à apprendre un nouveau métier et éventuellement à changer définitivement d’apparence. Contrairement à l’agent qui bénéficie d’une couverture diplomatique, celui qui opère sous identité fictive est un « illégal » et ne peut espérer aucune protection en cas d’arrestation.
Lunettes de Victor Otchenko, transfuge soviétique en France
Le colonel Victor Otchenko, attaché scientifique de l’ambassade de Russie à Paris, passe à l’Ouest en 1992. Sa défection permet l’arrestation de Francis Temperville, ingénieur au Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Depuis 1989, ce dernier transmettait aux services soviétiques, contre rémunération, des renseignements comme les résultats des tirs expérimentaux de Mururoa et les plans des armes nucléaires françaises. Temperville a été condamné à neuf années de prison pour trahison.
DGSI – Ministère de l’Intérieur
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Les moyens de l'agent

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La plupart des services qui conduisent des activités de renseignement sont dotés d’ateliers spécialisés capables de produire des matériels répondant aux besoins spécifiques des missions. Les films de James Bond ont popularisé « Q », inventeur des gadgets les plus extravagants. Ce personnage légendaire n’est pas issu de la fantaisie d’Ian Fleming, il a pour modèle Charles Bovill, chef du service technique du Special Operations Executive (SOE) britannique, à qui les agents parachutés en Europe occupée en appui aux divers mouvements de résistance devaient les moyens mis à leur disposition pour leurs missions. Des armes mythiques, comme le pistolet silencieux Welrod et divers types de dagues ont été développés pour mener des éliminations discrètes, tandis qu’un arsenal de moyens de sabotage était spécialement conçu dans les ateliers du SOE et de l’OSS. Avec la Guerre froide, l’attention des services se recentre sur l’espionnage. Il s’agit en effet de détecter les éventuels préparatifs de guerre de part et d’autre du rideau de fer. Les armes spéciales silencieuses ou dissimulées continuent à être utilisées jusqu’au début des années 1960, mais disparaissent progressivement pour faire place aux appareils de photo et enregistreurs, aussi discrets que possible. En déployant des trésors d’ingéniosité, les ateliers des services soviétiques, américains, français et britanniques parviennent à créer des appareils camouflés en objets d’usage courant, qui permettent de photographier des documents sur des supports suffisamment petits pour être dissimulés, transportés puis analysés.

Un parapluie pas si bulgare


Le mythique parapluie « bulgare » a été en fait inventé par le KGB, mais les services secrets bulgares l’ont popularisé en 1978 en l’utilisant contre l’écrivain dissident Georgi Markov. Ce dernier attendait son bus à Londres le 7 septembre, lorsqu’il fut bousculé par un homme tenant un parapluie. En réalité, un minuscule plomb de ricine est intégré à l’extrémité de l’objet et injecté dans le corps de la victime qui perçoit la pression, qu’elle croit anodine, d’un objet contre son corps. La mort ne survient que quelques jours plus tard. Markov mourut le 11 septembre. Le nombre d’exemplaires conçus est inconnu, et celui-ci est un des rares présentés aujourd’hui au grand public.
Parapluie bulgare
Guerre froide / Années 1980
Maldon, Combined Military Services Museum

La discrétion est de mise


Qui dit guerres secrètes, dit nécessairement discrétion. Sur ce point, les services secrets rivalisent d’inventivité pour créer des objets toujours plus petits et performants. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le SOE britannique parvient ainsi à équiper ses agents sur le terrain de matériels peu encombrant, tels une longue vue miniature ou encore une pelle démontable avec lesquelles l’agent était parachuté. Mais les services de renseignement ont aussi pu utiliser du matériel destiné à des usagers particuliers, parce qu’il convenait parfaitement à leurs besoins. C’est le cas de l’appareil photo Minox, produit en Allemagne après la guerre, devenu avec l’usage l’appareil photo « espion » le plus populaire.
Appareil photo Minox, produit en Allemagne après la guerre, devenu avec l'usage l'appareil photo «espion» le plus populaire.
Guerre froide, 1974
DGSE – Ministère de la Défense

Explosifs ou messages ?


Entre la Seconde Guerre mondiale et la Guerre froide, l’adversaire change, et incidemment les enjeux et les méthodes. Si le MI9 et le SOE rivalisent d’inventivité pour créer du matériel destiné aux opérations clandestines, la transmission du renseignement se fait principalement par deux voies : les ondes radio et les agents de liaison, dont la bicyclette est le symbolique attribut. S’inspirant des objets courants qui servent à camoufler des explosifs durant la guerre ouverte, les services de la Guerre froide transforment quant à eux les objets les plus petits et les plus insolites en boîtes aux lettres mortes.
Boîte aux lettres morte sous forme de branche
Guerre froide
Maldon, Combined Military Services Museum
© musée de l’Armée / Pascal Segrette

Les objets aussi se camouflent


Et si le mythique personnage de « Q » dans James Bond avait réellement existé ? Durant la guerre, le SOE dispose, à partir de 1941, d’un service de « Recherche et Développement » chargé d’équiper les agents en fonction des missions qui leur incombent. Ce matériel est compilé dans un catalogue, le Descriptive catalogue of special devices and supplies, qui répertorie les objets élaborés ainsi que leurs caractéristiques. Durant la Guerre froide, les services de renseignements ont également rivalisé d’imagination pour concevoir des matériels à deux utilisations possible, l’une officielle, l’autre clandestine, comme cet appareil miniature caché dans un paquet contenant de vraies cigarettes.
Appareil photo miniature Tessina automatique 35 mm caché dans un paquet de cigarettes, utilisé par le SDECE
Guerre froide
DGSE – Ministère de la Défense