Napoléon à Sainte-Hélène : la parole au professeur Luigi Mascilli-Migliorini


Reconstitution de la chambre à coucher de Napoléon, à Longwood House.
© musée de l’Armée / Emilie Cambier

Napoléon à Sainte-Hélène : la parole au professeur Luigi Mascilli-Migliorini

Napoléon à Sainte-Hélène ferme ses portes et totalise 90 000 visiteurs. Retour sur ce beau succès, avec le professeur Luigi Mascilli-Migliorini, professeur d’histoire moderne à l’Université de Naples «  L’Orientale » et président du comité scientifique de l’exposition.

L’étude des publics montre que les visiteurs ont d’abord trouvé l’exposition « intéressante » et « instructive » et seulement en troisième lieu « émouvante ». Quelles conclusions peut-on en tirer et y-t-il lieu de s’en féliciter ?
La réaction du public est tout à la fois surprenante et encourageante. On a souvent pensé que la seule façon de rendre compréhensible Napoléon, sa biographie et sa place dans l’histoire, était de  retrouver la dimension sentimentale du personnage, celle-là même qui l’a en quelque sorte occulté, voire noyé et ce, quelle que soit la perspective adoptée. En d’autres termes, le mythe serait donc  devenu la seule histoire possible. Les visiteurs de l’exposition paraissent, au contraire, nous dire qu’il est désormais possible, sans pour autant rompre avec une tradition « sentimentale » qui est  vieille de deux siècles et qui à ce titre fait aussi partie de l’histoire, d’aborder et de comprendre l’époque napoléonienne, ainsi que son acteur principal, par les moyens de l’intelligence et de la raison.

Le statut de l’empereur déchu, la façon dont les autorités britanniques le désignent ou s’adressent à lui, les signes et traces de sa grandeur passée enfin, sont au coeur de l’exposition. Peut-elle  nous aider à comprendre ce qu’est le pouvoir politique et la part qu’y ont les symboles qui s’y attachent ?
L’exposition a, en effet, tenté de montrer les années de Sainte-Hélène comme un récit autour de la question du pouvoir. De fait, Sainte-Hélène peut être considérée comme le roman d’origine des  temps modernes, un King Lear shakespearien, tout entier sous-tendu par un discours sur le pouvoir, ses attraits, ses horreurs, ses nostalgies et, surtout, sa fin. Mais il ne faut jamais oublier que,  si nous pouvons parler et penser ainsi, c’est parce que Napoléon lui-même nous a mis sur cette voie. En fait, Sainte-Hélène nous offre, exceptionnellement réunies, tout à la fois l’expérience «  vivante », en prise directe, de la déchéance du pouvoir et le récit de cette expérience par la personne même qui la subit : extraordinaire !

Lorsque Napoléon Ier séjourne à Sainte-Hélène, il n’est plus un souverain, pas même un chef militaire. Comment expliquer que ces six années aient à ce point marqué les consciences et l’histoire  française, voire européenne, jusqu’à nos jours ?
On peut répondre à cette question, d’abord, sur un plan pour ainsi dire politique. Sainte-Hélène contribue à forger la conscience politique de la France sortie de la Révolution et, ce faisant, aide les  Français à comprendre ce qui s’est passé, ce qu’eux-mêmes ont réalisé au cours de cette période, ainsi que la façon dont ces événements s’inscrivent non en contraste avec leur histoire mais  dans une relation complexe et subtile faite de continuité et de rupture avec une tradition qui demeure et sert de point de départ à un élan vers leur avenir, qui est celui d’une « Grande Nation ». Pour  ’Europe, Sainte-Hélène marque l’origine d’une modernisation politique d’inspiration libérale et démocratique, alors qu’auparavant il n’y avait d’autre alternative que d’imiter la France ou de  subir, sous la contrainte, l’exportation du modèle français. Les défaites ont finalement construit un Napoléon européen bien plus que ses victoires. C’est en effet au moment même où l’on aurait pu  se passer de ce petit homme prisonnier au large de l’Atlantique, que l’Europe a commencé à accepter la leçon historique qui se cachait, derrière son domaine et sa gloire.

Catalogue de l’exposition en vente à la boutique du musée Éditions Gallimard 35 euros / 304 pages