Guerres secrètes

Dossier réalisé par Christophe Bertrand, Emmanuel Ranvoisy, et Carine Lachèvre, commissaires de l’exposition

Exposition du 12 octobre au 29 janvier 2017

Pourquoi y a-t-il des guerres secrètes ?
Quels sont les organismes qui les mettent en oeuvre ?
Qui sont les femmes et les hommes liés à ces activités ?
L’exposition Guerres secrètes propose de démêler le vrai du faux, le fantasme de la réalité, pour porter un autre regard sur ce monde de l’ombre.

Exposer les guerres secrètes n’est pas chose facile en raison de la confidentialité liée à un tel sujet, de la rareté présumée des objets et des dispositions législatives et réglementaires qui interdisent la publication de nombres de documents, particulièrement en raison de la protection des sources. Néanmoins, contrairement à ce que l’on peut imaginer de prime abord, de nombreux objets, des documents d’archives imprimés et télévisuels sont concernés et ils sont passionnants, même s’ils ne couvrent pas la totalité des périodes et des événements abordés.


Descriptive Catalogue of Special Devices and Supplies (volume 2), compilé et édité par le War Office (Bureau de la Guerre) britannique 1945, The National Archives of the UK © musée de l’Armée / Pascal Segrette

De James Bond à monsieur Dupont : légende et réalité des guerres secrètes

Par ailleurs, l’exposition joue sur deux registres — celui de la réalité et celui de la fiction — de façon délibérée et ouverte, afin de pouvoir s’appuyer sur ce que le visiteur sait déjà. Car parler aux  visiteurs d’aujourd’hui des guerres secrètes en ignorant ou en feignant d’ignorer les fictions qui les ont traités, qu’il s’agisse de la littérature ou du cinéma, c’est ignorer que nul n’aborde un tel sujet  sans bagages, c’est faire fausse route, c’est enfin et surtout se priver d’une entrée à la fois efficace, plaisante et stimulante.

Ainsi, tout en assumant la rareté des traces d’affaires majeures pour les périodes les plus récentes, en mettant les objets et les documents en valeur par un appareil didactique adapté et en  perspective par des entretiens avec des acteurs des guerres secrètes, en expliquant et illustrant une grande partie des thématiques par des exemples tirés d’événements de la Seconde Guerre  mondiale, l’exposition aborde les guerres secrètes à travers leurs enjeux, leurs mécanismes, leurs moyens ainsi que les hommes et les femmes qui les ont mis en oeuvre.

Géométrie variable des services secrets

La période concernée débute au milieu du XIXe siècle, avec la mise en place des premières institutions consacrées au renseignement, pour s’achever avec la fin de l’URSS et de la Guerre froide en  991, en évoquant, bien entendu, la Seconde Guerre mondiale, cruciale dans la formation des services secrets tels que nous les connaissons aujourd’hui. Organisée en douze séquences, elle  aborde entre autres les thématiques suivantes : l’État et les services secrets ; la définition d’un agent, son recrutement, sa formation, la construction de sa légende et son destin ; ainsi que la  recherche et la transmission de l’information, les opérations clandestines, pour finir enfin sur la guerre psychologique et le dévoilement du secret.

Pour mener à bien ce projet délicat, le musée de l’Armée s’est entouré des meilleurs spécialistes du sujet qu’ils soient, universitaires, conservateurs, acteurs ou anciens acteurs des services  secrets, sous la présidence du professeur Olivier Forcade. L’exposition a aussi bénéficié du concours d’institutions françaises majeures, telles que le Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN), la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), le Service historique de la Défense, les Archives  nationales, ou encore Le musée Gaumont, Mandarin Télévision-Arte France, la BDIC, l’INA… et étrangères, la British Library, le All Souls College, EON Productions et le Combined Military  Services Museum en Angleterre et en Allemagne : le Deutsches Historisches Museum, l’AlliiertenMuseum et le musée de la Stasi à Leipzig.


Appareil photo miniature Tessina automatique 35 mm caché dans un paquet de cigarettes, utilisé par le SDECE années 1960-1980 DGSE – Ministère de la Défense © musée de l’Armée / Pascal Segrette


Émetteur-récepteur type SE 90/40, utilisé pour la mission Carthage-Paris, musée de l’Armée. Don du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE) - Seconde Guerre  mondiale © musée de l’Armée / Pascal Segrette


Appareil photo Minox, produit en Allemangne après la guerre, devenu avec l’usage l’appareil photo « espion » le plus populaire - Guerre froide, 1974. DGSE - Ministère de la Défense © musée de  l’Armée / Pascal Segrette

Monsieur Jean-Yves Le Drian
Ministre de la Défense

Les guerres secrètes, depuis les débuts de l’espionnage à aujourd’hui, ne manquent pas d’inspirer les productions artistiques, de la littérature au cinéma. À l’occasion de l’exposition, l’Écho du  Dôme a souhaité questionner les rapports entre réalité et fiction en proposant deux interviews exclusives, l’une de monsieur Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, la seconde de Fabien  Boully, maître de conférences en cinéma et audiovisuel, membre du comité scientifique. Deux points de vue à découvrir.

Monsieur le ministre, un nombre important d’ouvrages est consacré aux guerres secrètes, ainsi qu’aux services de renseignement et de contre-espionnage. En quoi une exposition sur ce sujet  peut-elle apporter une contribution nouvelle et originale à l’information du grand public ?

Il est vrai que notre époque témoigne d’un intérêt singulier pour le domaine du renseignement, sous tous ses aspects. Cette exposition répond donc à une demande réelle d’information de la part  du grand public. Mais votre question souligne cependant une vraie difficulté à laquelle une exposition de ce genre doit s’affronter. Comment, en effet, exposer au grand jour ce qui par définition  relève du secret et du confidentiel ? Comment ne pas céder à la facilité d’une mise en scène spectaculaire au détriment de la réalité, tout en se gardant d’interférer dans les relations entre  puissance, et risquer inutilement de les compromettre en en révélant des éléments qui relèvent de leurs intérêts supérieurs ? C’est la réussite de cette exposition de relever cette gageure, et c’est  ce qui en fait un événement précieux pour le public. Elle présente en effet un reflet fidèle et aigu des enjeux de cette réalité complexe, et de son traitement public, grâce au parcours historique  choisi, aux objets et aux documents exposés ainsi qu’aux différents témoignages qui y seront présentés.

L’exposition du musée de l’Armée présente, à côté de documents et d’objets liés à l’histoire des services secrets, des entretiens avec des hauts responsables politiques – les anciens Premiers  Ministres Michel Rocard, Edouard Balladur et Jean-Pierre Raffarin, ainsi que Pierre Joxe, ancien ministre de l’Intérieur et de la Défense. Que pensez-vous cette initiative ?

Ce choix me paraît tout à fait judicieux, nécessaire même. Il importe en effet de pouvoir mettre en perspective les objets et les documents grâce à la vision des acteurs de ces guerres secrètes, et  au premier chef celle des responsables politiques et hommes d’État qui ont décidé de l’organisation de nos services de renseignement et qui en assument, en dernière instance, la responsabilité.  N’oublions pas qu’il s’agit d’un environnement qui, aussi sophistiqué soit-il sur le plan technologique – je pense par exemple à cette guerre secrète d’un genre nouveau qui a lieu dans le domaine  du cyber – est fait de décisions humaines. Ce sont des décisions politiques qui ont renouvelé l’architecture de nos moyens de renseignement, notamment après la première guerre du Golfe et le  constat d’un certain déclassement de la France dans ce domaine, avec la création de la Direction du renseignement militaire et du Commandement des opérations spéciales, deux outils indispensables, aujourd’hui même, à notre action de Défense et qui nous donnent une expertise reconnue par tous nos partenaires.

Dans l’exposition Guerres secrètes, une place a été réservée aux fictions – littéraires et surtout cinématographiques- qui mettent en scène les services. Quel est votre sentiment sur l’image que  ces fictions donnent des agents, de leurs missions et du rôle des services secrets en général ?

Je constate d’abord que la création artistique dans ce domaine est particulièrement dynamique. La « Mission cinéma », dont j’ai récemment décidé la création, vise d’ailleurs à amplifier le soutien  du ministère de la Défense à ce domaine. Entre des fictions à dimension spectaculaire, dont l’archétype demeure encore aujourd’hui James Bond, et des fictions qui souhaitent s’inscrire dans une  veine plus réaliste, comme Le Bureau des Légendes, les services sont plus que jamais une source d’inspiration pour les écrivains et les cinéastes. Et le réalisme n’est bien sûr pas exclusif d’une  dimension romanesque, intrinsèquement liée à ce métier fascinant par bien des aspects. C’est tout l’intérêt de cette exposition, justement, que de présenter cette dimension avec la distance  critique nécessaire, afin de montrer la part du mythe dans les images héroïques que ces fictions véhiculent parfois. C’est aussi une façon de donner toute leur place au « courage » anonyme que  salue Michel Rocard, à la « banalité des acteurs du monde secret » soulignée par John le Carré dans le catalogue de l’exposition. C’est une manière pleinement justifiée de mettre à l’honneur la  réalité à la fois quotidienne, modeste, pleine d’abnégation, indispensable et parfois héroïque de celles et ceux qui sont des combattants de l’ombre.