France-Allemagne(s) 1870-1871 La guerre, la Commune, les mémoires

Entrée des troupes de Versailles. Eglise Saint Jean-Baptiste de Belleville, rue de Belleville Bibliothèque Historique de la Ville de Paris / BHVP
© BHVP / Roger-Viollet

L’Enigme, 1871 Gustave Doré, Musée d’Orsay 
© RMN-GP (musée d’Orsay) / Jean Schormans

La colonne Vendôme à terre, 16 mai 1871. Bruno Braquehais, Musée de l’Armée
© musée de l’Armée - Dist. RMN-GP / Émilie Cambier

Exposition du 12 avril au 30 juillet 2017

La guerre franco-allemande de 1870-1871 marque un tournant décisif en Europe. « Année terrible », selon l’expression de Victor Hugo, elle s’achève sur une guerre civile – la Commune de Paris – d’autant plus cruelle qu’elle se déroule sous les yeux de l’occupant allemand.

Un conflit qui a laissé des traces dans les arts et dans les mémoires
L’exposition a pour objectif de permettre au grand public de comprendre cette guerre, en expliquant en quoi elle constitue un moment fondateur dans la relation franco-allemande, autour de laquelle se noue à l’époque le devenir de l’Europe. Elle aborde également la Commune et montre en quoi celle-ci n’est pas un accident mais l’aboutissement d’un long processus, auquel les tensions sociales et l’élan de patriotisme soulevé par la défaite française ont contribué à donner son caractère propre. Pivots du parcours, ces événements sont replacés dans le contexte de perspectives chronologiques plus longues, à la manière de focales : une première resserrée au plus près de l’événement (1870- 1871) ; une deuxième allant de 1864, qui marque le début des guerres d’unification allemande, à 1875 et à la crise dite de la Guerre-en-vue (Krieg-in-Sicht-Krise) ; enfin, une troisième allant des guerres de libération de 1813-1815 (Befreiungskriege) et du Congrès de Vienne (1815) au traité de Versailles de 1919. Si le sujet relève de l’histoire militaire, l’exposition offre cependant une large place aux questions d’histoire diplomatique, culturelle et économique. 
Les traces laissées par les témoins ou acteurs du conflit dans les arts, la littérature ou encore l’espace urbain sont nombreuses : qui se souvient aujourd’hui de l’origine du nom du quartier de la Défense à l’ouest de Paris ou de la Strasse der Pariser Kommune à Berlin ? Plus de 300 objets, dont un exceptionnel ensemble de photographies d’époque, apportent un regard nouveau sur ce conflit méconnu, pourtant à l’origine d’évolutions majeures dans bien des domaines.

France-Allemagne, deux regards
Elle propose aussi différents points de vue – allemands d’une part, français de l’autre – sur les mêmes événements liés à la guerre de 1870-1871, ce qui permet de ne pas limiter le propos à un regard purement français et de renouveler l’approche de cette période cruciale des relations franco-allemandes. Ce souci s’exprime également dans la composition du comité scientifique de l’exposition, présidé par le recteur Jean-François Chanet et composé des meilleurs spécialistes du sujet français, allemands et britanniques.

Le concours de prêteurs européens
L’exposition a bénéficié, outre les oeuvres et documents provenant des collections du musée de l’Armée, du concours d’institutions majeures, allemandes – telles le Deutsches Historisches Museum, le Kupferstichkabinett et la National Galerie de Berlin, le Militärhistorisches Museum der Bundeswehr, la Hamburger Kunsthalle ou le Bayerisches Armeemuseum – et françaises – comme le musée d’Orsay, le Petit Palais, le musée Carnavalet, le musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis, le Palais de Compiègne, le musée de la Guerre de 1870 et de l’Annexion ou encore le musée d’art moderne et contemporain et le musée historique de Strasbourg.

Défense d’oublier !
La mémoire des combattants de 1870-1871 est présente en région parisienne, pour peu que l’on veuille bien y prêter attention. À Paris, le Lion de Belfort et la place Denfert-Rochereau rendent hommage à la résistance de la ville et de son commandant, tandis qu’à Champigny-sur-Marne et au Bourget, monuments et ossuaires rappellent les batailles éponymes. Enfin, le quartier d’affaires de la Défense tire son nom de l’oeuvre de Louis-Ernest Barrias, La Défense de Paris, érigée en 1883 dans la perspective de l’Arc de triomphe, pour commémorer la défense de la capitale assiégée. À Berlin, les abords, maintes fois remaniés par les régimes successifs, de la Siegessäule — Colonne de la Victoire commémorative des trois guerres d’unification allemande – portent la trace des travestissements d’une histoire dont le rejet, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, cède aujourd’hui la place à une approche plus distanciée et apaisée. Des toponymes tels que la Sedanstrasse ou la Strasse der Pariser Kommune rappellent par ailleurs l’ancienne partition entre les deux Berlin, ouest et est.

Strasbourg, Faubourg-de-Pierre après les bombardements, 1870 Épreuve sur papier albuminé Strasbourg, musée d’Art Moderne et Contemporain, Don de Me Alice Winter, 1929
© Musées de Strasbourg / M. Bertola

Spectaculaire « Année terrible »
La guerre franco-allemande puis la guerre civile se déroulent sous l’oeil des reporters mais également des artistes missionnés ou accrédités par l’État-major tels que Werner et Trübner, mobilisés comme Meissonier ou Manet, témoins engagés à l’instar de Carpeaux, Corot ou Menzel. La photographie documente la conquête, l’occupation et leurs conséquences : mise en état de défense des villes, destructions liées aux bombardements, prisonniers, reconstructions. Fait nouveau ou presque, elle sert à l’identification des morts, puis à celle des suspects dans le cadre des procès de la Commune. Si son usage en tant qu’outil de reconnaissance militaire peine à s’imposer - comme le déplore Nadar, aérostier durant le premier Siège de Paris -, l’image photographique in situ sert de source aux peintres Detaille et Neuville lors de la réalisation de panoramas peints dont la diffusion internationale repose sur l’itinérance mais aussi sur les reproductions photographiques. Instruments autant qu’aliments des mémoires du conflit, photographie, gravure et peinture concourent ainsi, de manière indissoluble, à ses interprétations successives et concurrentes.

Marie Favier, née Demigneux, capitaine adjudant-major aux francs-tireurs du Doubs, bataillon Nicolaï, 1870 Charles Joussaume d’après un photographe inconnu, Musée de l’Armée
© musée de l’Armée, Dist RMN-GP / Pascal Segrette

Femmes en guerre
Aux côtés des traditionnelles allégories nationales et guerrières ou encore des incarnations maternelles de l’infirmière et de la cantinière, émergent des figures de femmes plus troublantes, infléchissant l’image d’un conflit durant lequel l’engagement de nombreux volontaires tend à estomper les frontières entre les sphères civile et militaire. La loi interdit l’intégration des femmes dans l’armée régulière en tant que combattantes. Certaines rejoignent alors les groupes de francs-tireurs dont elles parviennent parfois à prendre le commandement telle que Marie-Antoinette Lix, devenue lieutenant des Uhlans polonais et capitaine des francs-tireurs de Lamarche dans les Vosges, ou encore Marie Favier sous-lieutenant au sein des francs-tireurs du Doubs avant d’être nommée, par le général Garibaldi, capitaine adjudant major du bataillon du commandant Nicolaï dont elle devient l’égérie puis l’épouse. Autre femme en armes, Louise Michel est représentée dans des photomontages à travers « la camera obscura de Versailles » (Karl Marx. La Guerre civile en France, 1871), avant de forger sa propre image. Condamnée à la déportation en Nouvelle Calédonie, elle se met en scène sur les barricades dans des récits autobiographiques, contribuant à la naissance d’une mythologie dont la force réside dans l’intégration d’archétypes révolutionnaires.

Dossier réalisé par Mathilde Benoistel , Sylvie Le Ray-Burimi et Christophe Pommier, commissaires de l’exposition