
L'Antiphonaire des Invalides
Au sein des manufactures des Invalides, les pensionnaires de l’atelier de calligraphie et d’enluminure se voient confier par les Lazaristes la réalisation d’un « Graduel et antiphonaire à l’usage de l’église Saint-Louis de la Maison Royale des Invalides, pour les fêtes solennelles de toute l’année. Le prestigieux ensemble Organum de Marcel Pérès nous présente en concert la séquence la plus originale de ce précieux livre de lutrin.

En l’Hôtel royal des Invalides, les pensionnaires se livrent aux exercices des armes, tout en se pliant aux exigences d’une fondation religieuse, placée à partir de mai 1675 sous la responsabilité des prêtres de la Mission de saint Lazare. Au sein des prospères manufactures qui y sont établies, les pensionnaires de l’atelier de calligraphie et d’enluminure se voient confier par les Lazaristes la réalisation d’un « Graduel et antiphonaire à l’usage de l’église Saint-Louis de la Maison Royale des Invalides, pour les fêtes solennelles de toute l’année. L’an du Seigneur 1682 ». Le prestigieux ensemble Organum de Marcel Pérès nous présente en concert la séquence la plus originale de ce précieux livre de lutrin. Ce volumineux ouvrage exécuté sur parchemin et doté de somptueuse enluminures dorées à l’or fin et de luxueux décors polychromes constitue l’un des joyaux des collections du musée de l’Armée.
Programme
Graduel et antiphonaire à l'usage de la maison royale de Saint-Louis des Invalides, pour les fêtes les plus solennelles de toute l'année
In Festo SANCTI LUDOVICI REGIS FRANCIÆ Ad Vesperas
1. Deus in adjutorium meum intende
2. Antiphona : Quæsivit Dominus
Psalmus : Dixit Dominus Domino meo
3. Antiphona : Sedens in solio judicii
Psalmus : Beatus vir qui timet Dominum
4. Antiphona : Misericordia et veritas
Psalmus : Laudate Dominum
5. Antiphona : In omni opere
Psalmus : Confitebor tibi Domine in toto corde meo
6. Antiphona : De omni corde suo
Psalmus : Benedictus Dominus Deus meus
7.Capitulum : Justum deduxit Dominus
8. Hymnus : Rex summe; Præludium (orgue)
9. Rex summe Regum
10. Nascens in ipsa Ludovicus (orgue)
11. Justi severus cultor
12. Mox christiani (orgue)
13. Sit Trinitati
14. Amen (orgue)
15. Versiculus : Sicut divisiones aquarum
16. Ad Magnificat, Antiphona : Quia diligit Deus populum suum
17. Magnificat (orgue)
18. Quia respexit (orgue)
19. Et misericordia (orgue)
20. Deposuit potentes (orgue)
21. Suscepit Israel (orgue)
22. Gloria (orgue)
23. Antiphona : Quia diligit Deus (orgue)
24. Responsorium : Regna terræ cantate Deo
Distribution
- Ensemble Organum
- Marcel Pérès, orgue, chant et direction artistique
-
Jean-Christophe Candau, Jérôme Casalonga, Giovannangelo de Gennaro, Marcel Pérès, Raphaël Pérès, Antoine Sicot, Frédéric Tavernier, Luc Terrieux
Important
Accès unique pour les concerts de 20h par le 129 rue de Grenelle (Face au pont Alexandre III).
Il est nécessaire d'acheter ses billets à la billetterie sur place de 10h à 17h30 ou en ligne

Découvrez l'Interview Perchée aux Invalides avec Marcel Pérès en cliquant ici.
Feuilletez le Graduel et antiphonaire, en cliquant sur ce lien (lien de redirection vers la base des collections du musée de l'Armée).

Graduel et antiphonaire des Invalides - Achille Davy-Rigaux (CNRS - Institut de Recherche en Musicologie)
Le Graduale et Antiphonale de la Chapelle Saint-Louis des Invalides est digne de l’édifice qui l’abrita dès 1682. Il s’agit d’un livre de lutrin volumineux exécuté sur parchemin, noté au pochoir, et doté d’une luxueuse décoration peinte en couleurs, camaïeux et dorures de frontispices, bandeaux, encadrements, lettres ornées, paysages, bouquets, vases de fleur, vanités. Il fut le premier ou l’un des premiers parmi les « livres d’église travaillés par des invalides manchots » au sein de cette institution.
L’Hôtel des Invalides fut en effet fondé par Louis xiv afin d’offrir une retraite honorable à ses anciens soldats, en leur permettant notamment de se reconvertir dans divers autres métiers. Ils confectionnaient ainsi des habits et chaussures pour l’armée ou pour des marchands, des tapisseries et des livres d’église. Reprenant la tradition des riches manuscrits enluminés héritée du Moyen Âge, ce véritable atelier spécialisé fut créé et dirigé par quelques-uns des douze à vingt prêtres de la Congrégation de la Mission dite de Saint-Lazare, fondée par saint Vincent de Paul. Chargés aux Invalides de la conduite morale des soldats et de la célébration des offices de sa Chapelle dès 1675, ils contribuaient ainsi à donner à ceux-ci un décorum aussi majestueux que possible. Sous la direction des lazaristes, les invalides manchots, probablement aidés dans certains cas par des artistes extérieurs, réalisèrent de nombreux livres à leur usage ou sur commande, plus ou moins luxueux selon les destinataires, portant généralement la mention « Fait à l’Hôtel des Invalides ». Parmi les plus remarquables ont été conservés l’un des Graduels et Antiphonaires réalisés pour la Chapelle royale de Versailles commandés par Louis xiv lui-même, qui avait été particulièrement impressionné par la beauté de ces ouvrages lors d’une de ses visites aux Invalides en 1682, ainsi que deux livres d’heures pour le souverain et un office de Saint-Louis à l’usage de la Chapelle des Invalides.
Les lazaristes attachés aux Invalides devaient y célébrer « la messe haute et les vêpres des dimanches et fêtes de l’année ». Ce à quoi s’ajoutait, en vertu du statut d’église de fondation royale de la Chapelle, la récitation quotidienne des prières pour le roi et sa famille et pour « la prospérité de ses armes ». Il était prévu en outre l’obligation d’exécuter au jour anniversaire du décès de Louis xiv « un service solennel pour le repos de l’âme du souverain fondateur », tandis qu’on célébrait une messe haute pour les funérailles d’un officier et une messe basse pour un simple soldat.
Le Graduale et Antiphonale ad usum S. Ludovici Domus Invalidorum est donc un livre fait « sur mesure » puisqu’il comporte uniquement les messes et offices en plain-chant de ces funérailles et des fêtes principales du lieu qui sont : Noël, l’Epiphanie, Pâques, l’Ascension, la Pentecôte, la fête du Saint-Sacrement (Fête Dieu), la Nativité de saint Jean-Baptiste, la Saints-Pierre et Paul, l’Assomption de la Vierge, la Saint-Louis et la Toussaint, célébrées selon l’usage romain.
Sa notation musicale reprend l’essentiel de l’ancienne notation carrée employée depuis le XIIe siècle pour la notation du chant grégorien (appelé à partir de la même époque planus cantus, plain-chant), tout en introduisant les principes de la correptio cantus propres à la période moderne, destinés à adapter les mélodies en plain-chant à un débit prosodique conforme aux règles de l’accentus du latin antique (déplacement de vocalises sur les syllabes longues et abrègement de la pénultième syllabe brève des mots de plus de deux syllabes).
Bibliographie : Plain-chant et liturgie en France au XVIIe siècle, éd. Jean Duron, Centre de Musique Baroque de Versailles, Fondation Royaumont, Klincksieck, 1997 ; Jacques Vanuxem, « Les manuscrits enluminés de la fin du XVIIe siècle», dans Les Invalides, trois siècles d’histoire, Paris, 1974.
Feuilleter l'antiphonaire, en cliquant sur ce lien (lien de redirection vers la base des collections du musée de l'Armée).

Note de programme par Marcel Pérès
Elle a péri cette sainte, cette noble église gallicane!
Elle a péri, et nous en serions inconsolables
si le Seigneur ne nous avait laissé un germe.
Joseph de Maistre
Graduel et antiphonaire des Invalides dans le contexte des XVIIe et XVIIIe siècles
Aujourd'hui, lorsque la musique dite "baroque" est évoquée, viennent à l'esprit des musiques composées au cours des XVIIe et XVIIIe siècles qui, pour la plupart, étaient destinées aux cours et chapelles princières. Et l'on pense aux œuvres de compositeurs aux noms plus ou moins connus qui vécurent à ces époques, de Monteverdi à Mozart en passant par Rameau. Cependant la réalité musicale de ces temps était encore plus riche et complexe. Beaucoup de cathédrales et d'ordres religieux conservaient un style de chant très ancien. La monodie constituait l'essentiel des pratiques liturgiques, quant aux musiques populaires, elles étaient encore fortement ancrées dans l'héritage médiéval. L'ambition de ce programme est de présenter un aperçu de la multiplicité des styles musicaux, qui animaient alors les pratiques liturgiques, au travers du plain-chant, des faux-bourdons et de l'orgue. L’office solennel des vêpres offre un bel exemple de la multiplicité des styles à l’époque. La structure des vêpres s'articule en deux parties symétriques. La première consiste dans le chant de cinq psaumes, chacun encadré par une antienne. Ensuite après la proclamation du Capitulum, court texte qui résume le teneur spirituelle de la fête qui est célébrée, commence la deuxième partie constituée par le chant de l'hymne puis du Magnificat. C'est à ce moment là que l'orgue se faisait entendre.
Les cinq psaumes sont ici chantés selon la pratique dite des faux-bourdons. Les faux-bourdons constituent une pratique polyphonique dont nous observons les premières traces dès l'époque carolingienne (IXe siècle). Elle consiste à accompagner la mélodie en plain-chant par des accords à trois ou quatre sons, souvent en mouvements parallèles et de manière à ce que toutes les voix disent le texte en même temps. On utilisait cette forme polyphonique pour les psaumes, les hymnes et parfois les répons afin de rehausser la solennité d'une célébration. Les psaumes chantés de cette manière s'étirent dans le temps, le texte se déploie dans l'espace ecclésial et acquiert ainsi une gravité qui permet aux auditeurs d'en entendre toutes les articulations révélatrices du sens.
Les faux-bourdons appartiennent au genre des polyphonies orales dont, jusqu'au xve siècle, peu d'exemples ont été notés. C'est ce qui explique que certains faux-bourdons aient gardés des tournures harmoniques et mélodiques archaïques qui tranchent avec le style des musiques composées aux XVIIe et XVIIIe siècles. De nos jours, il existe encore des traditions vivantes de faux-bourdons en Italie et dans quelques îles méditerranéennes (Corse, Sicile, Sardaigne) et quelques vestiges en Espagne et au Portugal. Ces traditions étaient encore en usage en France jusqu'au milieu du XXe siècle, mais elles ont disparues dans l'indifférence générale.1) Les faux-bourdons que nous avons utilisés proviennent d'un imprimé conservé à la Bibliothèque Inguembertine de Carpentras intitulé "Faux-bourdons parisiens".2)
L'orgue intervenait seulement pour les grandes solennités. Dans la tradition catholique, il n'accompagnait pas le chant mais alternait avec lui. À la messe il dialoguait avec le chœur pour les chants de l'ordinaire (Kyrie, Gloria, Sanctus, Agnus) et aux vêpres, seulement pour l'hymne et le Magnificat. 3)
Afin de restituer l'art de toucher l'orgue et le langage musical de la fin du XVIIe siècles au cœur de la création contemporaine, nous allons improviser chacun des versets alternés selon l'antique et vénérable pratique dite de l'alternatim, dont les premiers témoignages apparaissent autour de l'an mil. Plusieurs techniques sont possibles. Celle du "Cantus Firmus", la plus ancienne, consiste à jouer le chant en valeurs longues en y greffant une polyphonie, on utilise cette technique pour les versets les plus solennels. Dans la technique de la fugue, un fragment mélodique du plain-chant sert pour construire un dialogue entre les voix ; dans celle du récit orné, les virtualités des contours de la mélodie initiale peuvent être dévoilées.
La fonction de l'orgue consiste à révéler par la musique les harmoniques spirituelles que le texte, qui aurait dû être chanté, renferme en lui. Les voix se taisent, mais intérieurement chacun savoure les réalités dont les mots ne sont que le signe. Au-delà de la méditation puis de la contemplation, l'orgue - l'outil - devient ainsi le vecteur de l'incantation rituelle.
Marcel Pérès
1) Les polyphonies orales : histoire et traditions vivantes, sous la direction de Marcel Pérès, Éditions Créaphis 1994. Aujourd'hui, la seule institution ecclésiastique qui a conservé ces pratiques de psaumes chantés en faux-bourdon - comme un art essentiel à la pratique liturgique - est l'Église anglicane. Il s’agit toutefois d’une tradition très fortement marquée par l’esthétique vocale de la fin du xixe siècle.
2) La psalmodie, telle qu'elle apparaît dans ce livre, présente bien les versions mélodiques en usage à Paris. Cependant nous avons trouvé un de ces faux-bourdons dans un manuscrit romain, il s'agit de la psalmodie du 7e mode. L'histoire des origines et de la circulation de ces faux-bourdons français reste encore à faire.
3) Pour les chants de la messe, nous nous étions livré à ce genre d'exercice dans un disque paru en 1994 : Plain-chant de la cathédrale de Paris (xviie et xviiie siècles) avec orgue alterné (compact HMC 901480). Les vêpres de Saint Louis ont récemment fait l’objet d’une réédition chez Harmonia Mundi : HMM905366
L’ENSEMBLE ORGANUM
Fondé par Marcel Pérès en 1982, l’Ensemble Organum a abordé la plupart des répertoires européens qui marquèrent l’évolution de la musique depuis le VIème siècle. C’est à une autre approche du passé que voudrait inviter l’ensemble Organum, en situant la redécouverte et la réactualisation des musiques anciennes au cœur des grands courants socioculturels et spirituels du monde contemporain.
Crée à l’Abbaye de Sénanque, puis accueilli à la Fondation Royaumont de 1984 à 2000, où Marcel Pérès fonda le CERIMM (Centre Européen d’Interprétation des Musiques Médiévales), l’ensemble Organum est depuis 2001 installé à l’ancienne abbaye de Moissac pour animer une nouvelle structure de recherche, le CIRMA (Centre Itinérant de Recherche sur les Musiques Anciennes). Les nombreux concerts et spectacles – plus de 1400 réalisés en Europe, sur le continent Américain, en Afrique et au Proche-Orient, l’enregistrement d’une quarantaine de disques – dont la plupart ont reçu les plus hautes distinctions : Diapason d’Or, Classical Awards, choc de l’année du Monde de la Musique – et les fréquentes participations à des émissions de radio et de télévision, ont permis à l’ensemble Organum de jouer un rôle déterminant dans le renouveau des musiques anciennes. En 2000, le New York Times classa l’enregistrement de la Messe de Machaut par l’ensemble Organum parmi les 100 disques essentiels qui bouleversèrent la musique du XXe siècle. Progressivement et avec discrétion, l’ensemble Organum construit une véritable histoire du chant sacré – et, au travers de ce chant - une histoire des courants spirituels qui synthétise dans une même mouvance les différentes civilisations qui ont fleuri autour du bassin méditerranéen et rayonnèrent à l’Est et à l’Ouest de l’Europe.
Le projet : faire revivre les répertoires oubliés, les transmettre par l’enseignement, les concerts, l’édition discographique et livresque, les mettre en relation avec des traditions vivantes, renouveler en profondeur l’action et les pratiques culturelles et utiliser les découvertes qui surgissent pour repenser fondamentalement les processus de création et de transmission.
