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La seconde guerre de l'opium photographiée
Histoire de la prise du fort de Takou en Chine le 21 août 1860 et du photographe qui en a été témoin : Felice Beato
Artiste britannique d’origine vénitienne, Felice Beato se confronte à la guerre en Crimée où il officie en qualité d’assistant du photographe James Robertson. Naturalisé britannique en 1858, il embarque pour les Indes dans le contexte de la révolte des cipayes et fixe notamment sur plaques de verre, la cour du palais du Secundra Bagh jonchée des squelettes des cipayes tués lors de la reprise du palais par les britanniques. Fort de cette expérience, il est missionné par les britanniques pour suivre la seconde guerre de l’opium en 1860 et rendre compte des combats par la photographie.
Les évènements photographiés par Beato sont au cœur de l’histoire coloniale des XIXe et XXe siècles et intimement liés à l’histoire de la Chine et de son ouverture « forcée » au commerce international, au bénéfice des puissances occidentales. La guerre constitue alors le principal moyen de pression sur le pouvoir central chinois dans le but d’obtenir toujours plus de concessions, notamment la libéralisation du commerce de l’opium. En 1856, prenant le prétexte d’un incident naval et de la mise à mort d’un missionnaire français, les occidentaux interviennent une nouvelle fois militairement. Défaits, les Chinois sont contraints d’ouvrir de nouveaux ports au commerce occidental. A l’été 1860, un corps expéditionnaire de 20 000 britanniques et français arrive en Chine à la suite d’un nouvel incident. A la suite de violents combats, les Européens prennent les forts de Petang et Takou en août et ouvrent la route de Tsien Tsin (Tianjin) menant à Pékin (Beijing). C’est à Palikao (Baliqiao) que s’achève la campagne par la défaite de l’armée chinoise. Suite à l’échec des négociations, les franco-britanniques forcent l’entrée de la capitale et pillent notamment le palais du Yuanming yuan – le palais d’été – qui regorge des trésors de la Chine impériale.
Ces deux épreuves font partie d’une série de cinquante photographies réalisées par Beato au cours des évènements de la fin de l’été 1860 dont la prise du fort de Takou constitue le temps fort. Même si les photographies n’ont pas été prises dans cet ordre, l’artiste s’est attaché à recréer le déroulement précis des évènements en reconstituant la prise du fort, plan après plan, de l’extérieur vers l’intérieur de l’enceinte. C’est leur disposition chronologique en album qui permet de raconter – a posteriori – l’histoire de la bataille depuis la marche d’approche vers le fort jusqu’à sa chute. Bien qu’il fut missionné par les britanniques et ait soigneusement évité de photographier des cadavres européens, Beato adopte une démarche essentiellement documentaire en montrant les conséquences dévastatrices des combats : armes abandonnées, murs criblés d’impacts, échelles d’assaut en position, cadavres des soldats chinois, etc. En photographiant l’évènement juste après sa conclusion, il fige les effets de l’affrontement dans le temps ; l’ensemble des éléments représentés seront en effet enlevés rapidement après la prise de vue.
Ces photographies constituent une étape importante dans l’histoire des représentations de la guerre. En offrant un point de vue immédiat sur les conséquences de la bataille et en relatant une histoire selon des modalités qui lui sont propres, la photographie s’affranchit un peu plus du dessin et de la peinture.