Collections
Le sabre du lieutenant-colonel Klobb
Le récolement de la collection d’armes blanches suit son cours et révèle, au détour des 2600 pièces récolées à ce jour, des objets intéressants à plus d’un titre. C’est le cas de ce sabre modèle 1822 qui a appartenu à l’acteur malheureux d’un des épisodes les plus sombres de la colonisation africaine.
En juillet 1898, le ministre des colonies André Lebon (1859-1938) décide d’une mission d’exploration intitulée « mission Afrique centrale-Tchad » qui, en partant du Sénégal, doit se diriger vers le fleuve Niger puis le lac Tchad où elle a pour but de rejoindre la mission Fourreau-Lamy, partie d’Algérie, et la mission Gentil, partie du Moyen-Congo, avec pour objectif de parachever la conquête du Tchad.
La mission débute en janvier 1899, sous le commandement des capitaines Paul Voulet et Julien Chanoine. Dans les premiers temps, la mission se déroule normalement mais sa mauvaise préparation va rapidement provoquer de nombreuses exactions. La colonne est composée de huit cadres français, six cents soldats indigènes, huit cents porteurs, deux cents femmes et cent convoyeurs. Elle doit rapidement « vivre sur le pays » et les villages qui refusent de fournir des vivres sont pillés et rasés.
Les deux capitaines font régner une discipline inhumaine dans la troupe mais ils laissent leurs hommes se livrer à toutes sortes de débordements et ordonnent eux-même de nombreuses exactions
Le lieutenant Peteau, un des cadres de la mission renvoyé par Voulet, décrit les atrocités auxquelles il a assisté dans une lettre qu’il envoie à sa fiancée, lettre qui arrive finalement entre les mains du nouveau ministre des colonies. Après l’épisode de Fachoda, alors que l’affaire Dreyfus fait rage, la mission Voulet-Chanoine est arrêtée, afin d’éviter un nouveau scandale impliquant l’armée.
Le lieutenant-colonel Klobb, commandant la garnison de Tombouctou, est donc chargé de rejoindre la colonne et d’en mettre les officiers aux arrêts. Après une poursuite de deux mille kilomètres, jonchée de cadavres et de villages détruits, Klobb et sa petite troupe rejoignent la mission. Le 14 juillet, le lieutenant-colonel Klobb, arrivé au village de Dankori va procéder à l’arrestation de Voulet. Celui-ci se porte à sa rencontre avec un détachement. Après sommations de part et d’autre, Voulet fait ouvrir le feu et Klobb est tué.
Ayant franchi le Rubicon, Voulet aurait déclaré à ses subordonnés« Maintenant, je suis hors-la-loi, je renie ma famille, mon pays, je ne suis plus français, je suis un chef noir… » Quelques jours plus tard, Voulet et Chanoine sont tués par leurs soldats.
Ce sabre, témoin de l’histoire de la colonisation de l’Afrique, éclaire aussi un aspect particulier des collections du musée de l’Armée. La veuve du colonel Klobb a en effet donné au musée ce sabre, ainsi qu’une photo de son défunt mari, en 1909. L’arme blanche est encore pourvue à l’époque d’un fort pouvoir symbolique et évoque à elle seule la fonction et le statut de l’officier. Un certain nombre d’armes ont ainsi été données au musée par les familles d’officiers morts en service, les faisant en quelque sorte entrer dans le panthéon militaire des Invalides.